Améliorer son efficacité clinique
DOSSIER : AMELIORER SON EXPERTISE CLINIQUE
Comment développer son expertise de clinicien/ne? Avec les TCCs, nous savons que nous disposons de méthodes efficaces de réduction de la souffrance humaine. Mais la recherche nous montre aussi que les différences d'expertise entre cliniciens annulent bien souvent les différences d'efficacité technologique. Un peu à la manière dont équiper un joueur de tennis de la meilleure raquette existante ne garantit en rien qu'il va gagner ses matches... Nous ouvrons donc aujourd'hui un dossier pratique sur comment améliorer son expertise clinique. Ce dossier se concentrera sur la fourniture d'instruments et de procédures efficaces pour vous permettre d'augmenter votre expertise clinique. N'hésitez pas à nous donner votre feedback si vous choisissez d'essayer les instruments et techniques présentés.
Différence d'efficacité entre les meilleurs thérapeutes (best) et les moins efficaces (worst). Tiré de Lambert et al. 2005
1-L'EXPERTISE CLINIQUE
Cannon Thomas, a travaillé sur la question du développement de l’expertise clinique chez les psychothérapeutes et ce qui va suivre est largement basé sur une présentation qu'il a fait à la communauté d'apprentissage en ligne Practice Ground.
En psychologie cognitive, l’expertise est définie par la performance, c’est à dire l’obtention régulière du plus haut niveau de performance dans un domaine donné. Il est notable qu’il n’y a pas de relation nécessaire en expertise et expérience, au delà de la première année d’expérience. Plus surprenant encore, il n’y a pas non plus de relation entre le niveau d’expertise et le niveau de formation des thérapeutes. Cela est tout aussi vrai en TCC que pour les autres modalités thérapeutiques.
En tant que thérapeutes TCC, nous sommes engagés dans les thérapies empiriquement validées, pourtant les études montrent qu'en clinique de ville, les résultats des traitements empiriquement validés ne sont pas dramatiquement supérieurs à la thérapie de soutien. Il apparait que 2/3 des patients présentent encore des symptômes important en fin de traitement. 1/3 ne s’améliore pas et les taux de rechutes demeurent importants.
Selon la division 12 de l'American Psychological Association, La pratique empiriquement validée en psychologie est l’intégration de la meilleure recherche disponible avec l’expertise clinique, le contexte des caractéristiques, de la culture et des préférences du patient. Or cette dimension d’expertise clinique est la plus problématique. Les études comparant les résultats d’équation de régression au jugement clinique des thérapeutes montrent que les équations prédisent mieux les résultats de thérapie que le jugement des cliniciens, qui surestiment toujours leur efficacité (Dawes, Faust, & Meehl, 1989, Science).
Si, toutes disciplines confondues, l'expertise des pratiquants amateurs ne progresse plus passé la première année de pratique, les experts continuent à progresser pendant environ dix ans. La psychologie cognitive nous montre que tout apprentissage est dans un premier temps conscient, puis s'automatise (par exemple l'apprentissage de la conduite). Elle nous indique aussi que c'est l'entrainement de compétences ciblées nourri par un feedback immédiat qui est la clé du développement de l'expertise. C'est ainsi que les musiciens et les sportifs de haut niveau développent leur expertise. Ce feedback est aussi important sur le résultat (la balle est-elle dans le cours) que sur le processus (ce que les entraineurs observent et qu'ils relayent au sportif).
Selon K. Anders Ericsson, dans The Road to Excellence (Le chemin de l'excellence), ce qui fait la différence entre 'amateurs' et experts c'est que les experts
– Identifient un processus cible et un résultat spécifique
– Isolent la section significative de la sequence cible
– Répètent la compétence en visant la maitrise
Les experts receuillent également du feedback utile ce qui leur fournit une indication immédiate sur l'efficacité de leur performance. Le feedback en provenance d'autres - professeurs, mentors, etc... - est souvent essentiel.
Ce qui fait la différence entre les professions d'excellence reconnue (comme par exemple la chirurgie) et d'expertise présumée (comme la notre), c'est donc l'accès au feedback. Or en psychothérapie, nous ne recevons pas naturellement de feedback immédiat, ni ne sommes, le plus souvent, en mesure d'observer les processus en temps réel.
Cannon Thomas propose des stratégies claires et des instuments pour créer les conditions d'apprentissage de l'expertise pour nous même.
• Evaluer le progrès en se basant sur des données objectives.Assessing progress based on
– Résultats -- Les évaluations du client report et les évaluations des thérapeutes
– Processus --Feedback des clients
– Processus --Feedback d'analyse des séquences, d'enregistrement audio et vidéos et feedback venant de mentors et de pairs
• Se fixer des buts clairs d'évolution vers la maitrise
• Définir et pratiquer le processus visé
Il existe trois grandes dimensions qu'il peut être utile de mesurer.
-1. L'évolution des symptômes. Thomas recommande l'utilisation de l'échelle DASS 21 qui mesure la dépression, l'anxiété et le stress, soit les trois dimensions les plus importantes en clinique courante.
-2. La qualité de l'alliance thérapeutique, qui, ainsi que les travaux de Michael Lambert et son équipe le montre, est le plus fort prédicteur de l'efficacité clinique, toutes orientations théoriques confondues.
-3. Des mesures idiographiques adaptées au symptômes et/ou aux buts de chaque patient.
Pour aujourd'hui, nous mettons à votre disposition la fiche de calcul Excel reprenant le questionnaire DASS, ainsi que l'échelle DASS 21 en français.
Il vous suffit alors de remettre le questionnaire à vos patients et de leur demander de le remplir puis de vous annoncer les scores de chaque question alors que vous entrez les chiffres dans la feuille de calcul excel. L'entrée des données prend moins d'une minute. Une fois cela fait, cliquez sur l'onglet 'rapport' qui vous permettra de visualiser graphiquement et de suivre, d'une séance à l'autre, l'évolution de vos patients sur les trois dimensions. Le niveau des symptômes a été normé sur de larges populations (nord-américaines) et un code couleur permet de suivre la sévérité de ces symptômes. Vous voici en possession d'un système de feedback rapide des trois grandes dimensions symptomatiques. Les patients apprécient également beaucoup ce système.
Dans la prochaine livraison de ce dossier, nous reviendrons sur les mesures d'alliance thérapeutique et idiographiques.
Benjamin Schoendorff